La pornodivulgation ou “revenge porn” désigne la publication non consensuelle de vidéo strictement intime ou sexuel d’une personne dans le but de la nuire, de la venger, de l’humilier ou de la manipuler. Ce phénomène, bien que global, prend une dimension particulière en Haïti en raison de l’absence ou de l’insuffisance des outils législatifs et les mécanismes de protection à ce sujet. C’est-à-dire, à cause de la nonchalance de l’Etat haïtien à cette forme de cybercriminalité à travers le Ministère de la justice, le « renvenge porn » continue de se propager comme un virus sans antidote, infligeant des souffrances profondes et durables à des victimes et leur famille. D’un instant à l’autre, les internautes peuvent recevoir le contenu choquant d’une personne connue ou pas. Ceux qui sont les plus avisés refuseront de le propager davantage. Par contre, d’autres auront le plaisir de le rendre viral. Cet article aujourd’hui tentera explorer les implications psychosociales de la pornodivulgation en Haïti et les défis juridiques qu’elle pose, tout en proposant des pistes de solutions pour mieux protéger les victimes et punir les auteurs.
Contexte psychosocial et conséquences psychologiques de la porno divulgation
En Haïti, le contexte socioculturel exacerbe les effets dévastateurs de la pornodivulgation. Les victimes, majoritairement des femmes, sont souvent confrontées à une double peine : la violation de leur intimité et la stigmatisation sociale qui s’ensuit. La société haïtienne, marquée par des normes patriarcales, un énorme déficit d’empathie, le manque de formation et d’information tend à blâmer les victimes plutôt que de soutenir leur quête de justice. C’est également le même cas de figure lorsqu’une fille ou femme se fait violer. Les victimes sont plutôt jugées et ostracisées par la communauté. Dans le cas de la pornodivulgation, la clameur publique parfois impitoyable sur les réseaux sociaux à l’égard de l’offensée intensifie sa détresse psychologique. Ces conséquences seront profondes et durables notamment s’il n’y a aucune prise en charge d’un professionnel de la santé mentale à son intention. Énumérons quelques unes des conséquences.
Syndrome du stress post-traumatique
L’une des premières grandes conséquences psychologiques du “revenge porn” est le syndrome de stress post-traumatique. Le SSPT figurant aujourd’hui dans les manuels de diagnostic psychiatrique est un trouble de la santé mentale qui survient après un événement traumatisant. Il se manifeste par des souvenirs spontanés de l’événement (flashbacks), un sentiment de culpabilité, des cauchemars récurrents etc. La personne qui subit une pornodivulgation se sent totalement détruite et trahie. Du coup, son stress s’aggrave si elle aussi lit les commentaires ou regarde son propre vidéo publié. Ce qui pourrait passer à une phase de dépression sévère, voire engendrer un suicide.
Perte d’estime de soi
Il y va de soi que l’humiliation publique du “revenge porn” entraîne une perte d’estime de soi et un sentiment de honte intense de la personne lésée. Ceci entraînera un isolement systématique de la victime qui continue longuement de souffrir.
Difficultés professionnelles
Cette malencontreuse information peut arriver au travail de la victime. Ainsi, elle peut même arriver à perdre son travail dans le pire des cas. La publication malhonnête de contenus intimes peut nuire à la réputation professionnelle des victimes, entravant sérieusement leur carrière.
Violence de Genre
La pornodivulgation s’inscrit dans un cadre plus large de violence basée sur le genre, renforçant les inégalités et la discrimination contre les femmes. Jusqu’à présent ce sont les femmes qui sont majoritairement victimes.
*ENJEUX JURIDIQUES ET ABSENCE DE DISPOSITIONS LEGALES *
Contrairement à d’autres pays, Haïti ne dispose pas de lois spécifiques criminalisant explicitement la pornodivulgation. En mars 2022, les Etats-Unis à travers le Congrès a adopté pour la première fois dans le cadre de la violence contre les femmes (Violence Against Women Act Reauthorization Act of 2022) une loi fédérale donnant la possibilité à quelqu’un de porter plainte au niveau fédéral contre une personne ayant divulgué des images intimes sans son consentement. Et en octobre 2023, 48 États dont Washington D.C. ont adopté des lois interdisant la distribution ou la production d’images et de vidéos non consensuels. Pourtant en Haïti, le silence législatif à ce propos complique la poursuite des auteurs et laisse les victimes sans recours adéquat. Si l’arsenal juridique haïtien parle de harcèlement sexuel dans le code pénal, il n’est tout à fait pas à jour à propos de la pornodivulgation. Cette initiative malsaine est sans aucun doute plus grave que l’harcèlement sexuel. Voici quelques références légales qui parle de harcèlement sexuel sans pour autant toucher le « revenge porn ».
Le nouveau code pénal haïtien qui devrait entrer en vigueur le 24 juin dernier établit sans ambiguïté que le harcèlement sexuel constitue une infraction. En effet, l’article 307 définit le harcèlement comme “l’acte d’imposer de manière répétée à une personne des propos ou comportements à connotation sexuelle, portant atteinte à sa dignité par leur caractère dégradant ou humiliant, ou créant pour elle une situation intimidante, hostile ou offensante”. Bien que l’ancien Code pénal haïtien ne traite pas spécifiquement du harcèlement sexuel en tant que tel, il existe des dispositions générales sur les atteintes à la dignité et à l’intégrité des personnes qui pourraient s’apparenter à la pornodivulgation mais sont insuffisantes pour pallier ce problème. C’est le cas de l’article 278 et suivant. Article 278: “Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur, sera punie d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de seize gourdes à quarante huit gourdes”. Article 279: “Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou l’autre sexe, sera puni de la réclusion. En quelque sorte, les textes législatifs actuels sont muets à la problématique du cyberharcèlement en particulier de la pornodivulgation en raison de ses récentes intensifications dans la société.
*PERSPECTIVES JURIDIQUES *
Il est impératif que les législateurs haïtiens et le personnel de la justice soient toujours au courant des malhonnêtetés qui naissent dans la société afin d’en adopter des lois spécifiques et adaptées. La pornodivulgation implique une grande responsabilité des acteurs étatiques dans la mise en place de procédures légales et techniques efficaces non seulement pour dissuader les auteurs malveillants, mais aussi permettre aux victimes d’obtenir rapidement justice. Pour lutter efficacement contre ce fléau numérique en Haïti, il est crucial d’adopter une approche multidimensionnelle impliquant des réformes législatives, des initiatives éducatives, une participation technique profonde et des mesures de soutien aux victimes. Énumérons quelques initiatives nécessaires à prendre par l’État haïtien.
*Régulation des réseaux sociaux par le droit du numérique *
Selon une étude, il existe plus de 5 milliards d’utilisateurs sur les médias sociaux dans le monde, soit 62,3 % de la population mondiale. Par ailleurs, ce nombre a augmenté de 266 millions au cours de l’année 2023, ce qui représente une croissance annuelle de 5,6 %. Pour Haïti, selon l’analyse de Kepios, les utilisateurs d’internet ont augmenté de 54 mille (+1,2 pour cent) entre 2022 et 2023. Ce qui veut dire, en dépit des limitations de l’internet en Haïti, il y a beaucoup d’utilisateurs des réseaux sociaux. La grande question c’est comment utilisent-ils ces différents réseaux sociaux. Dès qu’il existe des interactions humaines dans un environnement donné, il faut automatiquement penser aux règles de droit qui y correspondent. Certes, ces progrès technologiques présentent de nombreuses opportunités mais également de grands défis. En Haïti, à cause que le numérique n’est pas régulé, la plupart des internautes partent en roue libre sur les réseaux sociaux se permettant toutes sortes de malversations en toute impunité. Les mésaventures les plus courantes sont les violations de la propriété intellectuelle, la diffamation, l’incitation à la violence, l’apologie de la haine, l’insécurité des données et la violation de la vie privée des gens. Toutefois, de timides efforts ont commencé à se faire sentir à travers le décret du 29 janvier 2016 qui traite spécifiquement la régulation du numérique pour l’administration publique. Par exemple, avec ce décret, la signature électronique devient légale dans la fonction publique. Il traite aussi du respect de la vie privée des Administrés à travers l’article 4. Mais, le public n’est toujours pas protégé par un texte de loi spécifique du numérique en Haïti notamment en ce qui a trait à la pornodivulgation. Il faut signaler aussi qu’une telle loi ne peut pas se faire sans le savoir et la participation active des Spécialistes en informatique. L’agresseur doit pouvoir être retracé normalement afin de permettre les poursuites légales. Les plateformes en ligne aussi peuvent jouer un rôle crucial dans la lutte contre la pornodivulgation. Elles doivent être tenues responsables de la promptitude avec laquelle elles retirent les contenus humiliants signalés et de la protection des utilisateurs. La collaboration avec ces plateformes est essentielle pour créer un environnement en ligne plus sûr.
Sensibilisation et éducation
Il existe aussi en Haïti un déficit flagrant de formations et d’information sur les dégâts de la cybercriminalité et l’utilisation du numérique. Des campagnes de sensibilisation doivent être menées pour informer le public sur les diverses conséquences de la pornodivulgation. Il est également essentiel d’éduquer les jeunes sur l’importance d’une sexualité responsable c’est-à-dire indépendante des TIC afin de réduire à plat les risques d’un « revenge porn ».
Soutien aux victimes
La création de structures de soutien psychologique et juridique pour les victimes est fondamentale. Cela peut inclure des lignes d’assistance téléphonique, des centres de conseils et des partenariats avec des ONG locales. Les victimes doivent pouvoir accéder à un soutien adapté pour surmonter le traumatisme et reconstruire leur vie.
Comme partout dans le monde, l’utilisation des réseaux sociaux suscite opportunités et craintes.
Mais il revient aux responsables d’agir en conséquence.
Enfin de compte, la pornodivulgation en Haïti est une problématique grave qui nécessite une réponse concertée et globale. En combinant des réformes législatives, des initiatives de sensibilisation, l’intervention musclée des techniciens informatiques et un soutien accru aux victimes, il est possible de mieux protéger les individus contre cette forme pernicieuse de cyberharcèlement et de punir les auteurs de manière efficace. La société haïtienne doit s’unir pour promouvoir le respect de la vie privée et la dignité de chaque individu, en ligne comme hors ligne, afin d’éradiquer ce virus sans antidote.
REFERENCES
(Bibliographie)
- Femmes piégées (Linda DUCRET)
- Combatte le cybersexisme (Association stop FISHA)
- Post traumatic stress disorder (J.F Pagel)
- Code du numérique (Louis DEGOS)
(Sitographie)
DIGITAL REPORT 2024 : Les utilisateurs·trices des médias sociaux dépassent le cap des 5 milliards DANS LE MONDE ! – We Are Social France
Fact Sheet: Reauthorization of the Violence Against Women Act (VAWA) | The White House
Digital 2023: Haiti — DataReportal – Global Digital Insights
http://www.omrh.gouv.ht/Media/Publications/3Decrets/Decret%20portant%20sur%20la%20signature%20%C3%A9lectronique.pdf

Renel ROSENE boucle son Master en droit des affaires à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour en France. Pendant son parcours, il a collaboré avec plusieurs Avocats spécialisés en droit des sociétés, notamment Christophe CUSURTERO, enrichissant ainsi ses compétences et son expérience dans ce domaine. Passionné par le Droit, notamment le Droit des affaires, il a rédigé plus d’une dizaine d’articles juridiques dans le but de signifier son engagement et sa maîtrise des sujets complexes du Droit. Ambitieux et déterminé, Renel aspire à apporter une contribution certaine au monde juridique haïtien. Il est aussi Rédacteur de Happiness Communication.