En Haïti, la notion de Femme indépendante suscite de nombreux débats, parfois conflictuels, notamment avec certains hommes. Si la lutte mondiale des femmes pour la reconnaissance de leur humanité a été tumultueuse, l’émancipation des haïtiennes, qui s’inscrit dans cette dynamique, a également engendré des répercussions notables. En effet, la femme haïtienne était considérée autrefois comme un objet, maintenue dans une minorité sociale permanente, totalement assujettie à son époux. La tradition était si ancrée que les parents eux-mêmes contribuaient à cette oppression. Ils privilégiaient l’instruction des garçons, tandis que les filles étaient retenues aux travaux domestiques et agricoles. De plus, ils justifiaient les violences conjugales en incitant leurs filles à la résignation, affirmant qu’un mari garantissait leur statut social et leur sécurité financière. Ce système d’asservissement a conduit les femmes haïtiennes à revendiquer leurs droits et à se battre avec acharnement pour leur indépendance. Avec le temps, ces revendications ont favorisé leur autonomie affective et économique. Pourtant, derrière cette apparente liberté, elles continuent de subir des pressions et des incompréhensions.

En quelque sorte, les obstacles psychologiques et socioculturels demeurent nombreux. Non seulement leurs aspirations sont mal perçues par une grande partie de la société, mais aussi elles se voient souvent heurter à des barricades ou des ultimatums de la part du sexe opposé. Pour faire valoir ce qui leur est légitimement dû, elles doivent encore lutter. Une ingénieure civile diplômée peut, par exemple, être reléguée à des tâches subalternes sur un chantier, contrainte de justifier sa place auprès de ses collègues masculins. L’accès aux postes à responsabilités est semé d’embûches, où le chantage sexuel peut devenir un prérequis implicite à l’embauche. Simone de Beauvoir illustre bien cette réalité en affirmant dans son livre La femme indépendante : « La femme a toujours été, sinon l’esclave de l’homme, du moins sa vassale ; les deux sexes ne se sont jamais partagé le monde à égalité. Et aujourd’hui encore, bien que sa condition soit en train d’évoluer, la femme est lourdement handicapée. En presque aucun pays, son statut légal n’est identique à celui de l’homme et souvent il la désavantage considérablement». Cette résistance constante finit par développer chez ces femmes un caractère fort et défensif souvent mal interprété comme de l’hostilité.
Un autre paradoxe réside dans les critiques venant de leur propre camp. Des études montrent que les femmes peuvent être plus sévères envers leurs semblables que ne le sont les hommes. Sur les réseaux sociaux, certaines attaquent d’autres femmes non pas parce que leurs critiques sont toujours légitimes, mais surtout pour attirer la sympathie masculine ou obtenir une forme de protection des hommes ou d’un homme précis. Ce comportement de ces bonnes femmes découle inconsciemment d’un mécanisme de défense face aux inégalités des chances sociales entre homme et femme où la polémique avec d’autres femmes devient pour elles la norme. Néanmoins, peu de personnes parviennent à saisir la complexité des défis quotidiens auxquels font face les femmes indépendantes en Haïti.
En effet, on pourrait définir une femme indépendante comme une femme déterminée qui parvient à satisfaire en toute autonomie les besoins économiques et affectifs fondamentaux de sa vie. C’est quelqu’un qui est systématiquement détachée de toutes formes de dépendances. Cependant, l’indépendance féminine en Haïti prend diverses formes. Elle ne se limite pas aux carrières prestigieuses, mais inclut également celles qui n’ont pas eu la chance d’avoir une éducation formelle et qui entreprennent à petite ou moyenne échelle sur le marché informel, les Madan sara, les servantes, les marchandes ambulantes par exemple. La société tend à oublier l’indépendance de ce groupe de femmes. Ensuite, Il existe ces jeunes femmes indépendantes dans la vingtaine, diplômées qui intègrent rapidement le marché du travail. Il existe des femmes indépendantes mères célibataires, des femmes indépendantes célibataires âgées sans enfant, des femmes indépendantes qui se marient, des femmes indépendantes homosexuelles, des femmes indépendantes jeunes ou moins jeunes qui ne décident point d’avoir ni d’enfants ni de partenaire. On ne saurait mettre toutes les femmes indépendantes dans le même panier et elles ne devraient pas être jugées pour leurs choix de vie. Cependant, toutes partagent un point commun essentiel : elles assurent elles-mêmes leur subsistance.
En vérité, une société évoluée devrait applaudir l’autonomie des femmes car c’est un apport de croissance considérable. Sur le plan personnel, l’autonomie protège la femme des violences basées sur le genre qui engendrent des répercussions physiques, économiques et psychologiques. Chaque femme indépendante contribue à réduire la pauvreté féminine et à prévenir l’exploitation, notamment la prostitution contrainte. En Haïti, la promotion de la “bouzenderie”, qui pousse certaines à vendre leur corps pour survivre est encore très exacerbée. La chanson «Sere kòkò w, demen w ap manje kaka» illustre tristement cette mentalité. Il est indiscutable qu’une femme qui subvient seule à ses besoins évite des rapports sexuels non souhaités mais obligés et réduit ainsi les risques de grossesses non désirées et d’infections sexuellement transmissibles.
D’autre part, l’indépendance financière et émotionnelle de la femme stabilise sa confiance en soi, aiguise sa créativité, contribue à son épanouissement personnel. Cela signifie que ses capacités innées, ses aspirations intellectuelles sont protégées d’éventuelles commandes étouffantes, et privations arbitraires d’un homme qui financerait toute sa vie. Une diction populaire dit « Qui finance commande »
Au final, l’indépendance féminine en Haïti est une avancée essentielle qui doit être protégée et encouragée par tous. Les femmes indépendantes ne sont pas nécessairement des femmes à craindre. Ce sont plutôt des bourreaux de travail qui peuvent contribuer largement à l’envolée économique d’une famille et du pays. Ce sont pour la plupart des mamans très épuisées émotionnellement qui continuent à se battre pour produire des citoyens de renom à la nation. Pourtant, leur autonomie reste mal comprise et suscite des résistances. Aujourd’hui, la société doit évoluer et reconnaître que l’autonomisation des femmes n’est pas une menace, mais un moteur de développement collectif. La femme indépendante aussi qui souhaite fonder un foyer ne cherche pas un concurrent mais un mari solide sur qui elle peut compter. Encourager l’accès à l’éducation, garantir des opportunités économiques, proposer des supports psychologiques et lutter contre les violences sexistes ne sont pas uniquement des impératifs de justice sociale, mais des conditions indispensables pour bâtir une nation plus prospère. Il est essentiel de mieux comprendre et soutenir la femme indépendante, de lui offrir un cadre où elle peut s’épanouir pleinement et contribuer, avec équité, à l’essor du pays.

Née au Cap-haïtien, je suis une Haïtienne restée attachée à ma ville natale. Mon penchant particulier pour les Sciences humaines et sociales s’accorde avec mes activités professionnelles en tant que Juriste en Droit de l’homme, notamment en Droits de l’enfant et en Droits des femmes. J’ai aussi reçu une formation en Journalisme et en Psychologie positive.
Mes goûts sont prononcés pour les activités artistiques et culturelles ( théatre, peinture, artisanat, dessin, danse, musique). Je me perds souvent à admirer des tableaux ou des œuvres d’art n’importe où. A l’adolescence, il me plaisait de chanter et de jouer au théatre à l’auditorium du Collège Régina Assumpta. Les restos, les spectacles, la danse sans toutefois aimer les bals, les documentaires, la lecture constituent mes loisirs préférés. Quant à l’écriture, elle remplit ma vie, et je ne m’en lasse jamais. Le sport ne me laisse pas aussi indifférente. Je suis fan de l’équipe d’Argentine, de Lionel Messi et de Golden State Warriors/ Stephen Curry.
Au bout du compte, mon caractère fébrile m’incite aussi à m’engager dans des activités communautaires afin de participer à l’élévation des mentalités. Je reste convaincue que Haïti peut renaître de ses cendres comme le Rwanda et bien d’autres pays dont les situations socio-économiques étaient pires que la nôtre.
YON JOU LA JOU !
