Le péril mystique qui menace la lucidité politique

Dans un contexte mondial marqué par des tensions politiques, des conflits géopolitiques complexes et une exigence croissante de rigueur dans la prise de décision, un phénomène inquiétant persiste et se développe : la lecture mystique des événements publics. Il ne s’agit pas ici de la foi personnelle ou de la quête spirituelle intime, mais bien de l’usage de symboles, de présages ou de discours ésotériques pour interpréter ou influencer la politique nationale et les relations internationales. Cette dérive, trop souvent banalisée, constitue une véritable menace pour la gouvernance rationnelle et l’équilibre des sociétés.

Lorsque les décisions d’État se fondent sur des interprétations mystiques plutôt que sur des données factuelles, la logique et l’analyse stratégique cèdent la place à l’irrationnel. Un dirigeant qui croit voir dans une catastrophe naturelle un message divin ou dans une date une prédestination politique, risque de négliger les réalités économiques, militaires ou diplomatiques qui devraient pourtant guider ses choix. N’en déplaise que depuis la nuit des temps, le mystique a toujours existé dans la vie des peuples et constitue aussi un point d’encrage pour certaine communauté dans presque toutes les sociétés ; toutefois, au niveau de l’état, à l’heure des prises de grandes décisions,  ce glissement vers l’irrationnel peut entraîner des politiques incohérentes, des alliances risquées et même des conflits mal anticipés. À l’échelle internationale, cela affaiblirait la crédibilité du pays sur le plan stratégique et diplomatique.

Par ailleurs, le recours au mystique devient un levier de manipulation idéologique. Certains dirigeants, notamment dans des régimes autoritaires ou populistes, exploitent les croyances collectives pour se donner une légitimité sacrée. Ils se présentent comme des figures prophétiques, des messagers d’une destinée nationale ou les seuls capables de guider le peuple vers une promesse quasi divine. Ce discours détourne l’attention des véritables priorités comme la pauvreté, la corruption, la sécurité, la justice. Il enferme les citoyens dans une logique d’adhésion émotionnelle plutôt que dans un rapport critique aux institutions et aux idées.

Ce phénomène n’épargne pas les opinions publiques. Avec les réseaux sociaux et les médias alternatifs, les théories du complot, les interprétations mystiques de l’actualité et les lectures ésotériques des événements se diffusent rapidement. Une éclipse devient le signe d’un changement de régime, un chiffre répété dans les discours politiques est vu comme un code secret, une image hasardeuse dans la nature ou un songe est interprété comme une prophétie. Ces lectures erronées détournent les citoyens des véritables enjeux politiques, tout en affaiblissant leur capacité à participer de manière éclairée au débat démocratique.

Dans le domaine géopolitique, les conséquences peuvent être encore plus lourdes. Lorsque des acteurs politiques perçoivent leurs adversaires non pas comme des partenaires aux intérêts divergents, mais comme des ennemis spirituels ou des incarnations du mal, tout dialogue devient impossible. Les conflits sont alors vécus comme des guerres sacrées, des affrontements prédestinés, où la paix ne peut être envisagée sans une victoire totale et définitive. Cette vision manichéenne empêche toute forme de négociation, nourrit la haine identitaire et alimente les cycles de violence.

Il est donc crucial de réaffirmer la primauté de la raison, de l’analyse critique et de la rigueur intellectuelle dans la gestion des affaires publiques. Cela passe par une éducation civique renforcée qui développe chez les citoyens une capacité à distinguer croyances personnelles et faits vérifiables, à questionner les discours séduisants et à privilégier l’argumentation fondée sur des preuves. Cela exige également, des médias, une vigilance accrue face aux récits mystiques ou symboliques, surtout lorsqu’ils sont utilisés à des fins politiques.

Le respect des croyances religieuses ou spirituelles ne doit jamais être un prétexte pour justifier l’abandon de la pensée critique dans l’espace public. Le danger ne vient pas de la spiritualité elle-même, mais de son instrumentalisation à des fins idéologiques. Défendre la lucidité politique, c’est défendre la démocratie. C’est refuser que les décisions qui engagent l’avenir d’un pays soient prises sous l’influence de visions mystiques, de chiffres fétiches ou de récits prophétiques très souvent farfelus et mal intentionnés ; C’est aussi et surtout, rappeler que la conduite d’un État, dans un monde aussi instable que le nôtre, exige une boussole forgée par la raison, la transparence et la responsabilité.

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One Comment

  • Très bonne analyse

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