BARBARA GUILLAUME, UNE FEMINISTE INTERGENERATIONNELLE AU DELA DES FRONTIERES 

Marie Rebecca GUILLAUME, dite Barbara est l’une des haïtiennes qui consacrent leur vie à l’émergence d’une société égalitaire. En plus d’être une féministe intergénérationnelle aguerrie, elle est aussi une chanteuse militante qui dénonce courageusement à travers ses chansons, la finitude des valeurs, les disfonctionnements socio-politiques et culturels, l’équité de genre mais également projette à travers sa musique, l’avènement d’un Haïti régénéré dans le développement économique. Par ailleurs, en tant que militante pour les droits des femmes et des filles, la politique fait partie intégrante de la mission de vie de Barbara. Ainsi, en 2020 elle s’est présentée aux élections municipales et sénatoriales.  A travers les années, elle a pris différentes initiatives politiques dans le but de mettre en pratique les paroles de ses chansons. Récemment, supportée par une grande majorité de femministes, elle a été élue pour leur représenter au Conseil Électoral Provisoire.  Néanmoins, son élection a été débattue au sein même  du secteur. Par conséquent, la plateforme HAPPINESS COMMUNICATION s’intéresse à une causerie amicale et franche avec elle, non seulement pour discuter de sa carrière musicale engagée, de son militantisme pour les droits des femmes, mais aussi discuter de ses perspectives au Conseil Électoral Provisoire.

1. Rachel : Bonjour Barbara ! Grande est notre joie de vous accueillir aujourd’hui à travers la plateforme HAPPINESS COMMUNICATION.  Comment allez-vous ?

Barbara : Divinement Bien. En devoir pour le bien-être de la population 

2. Rachel : Barbara ! Vous êtes bien une femme tout terrain, mais nous aimerions que vous nous parliez un peu plus de vous. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de la plateforme je vous prie ?

Barbara : Avec plaisir Rachel ! Je me nomme Marie-Rebecca GUILLAUME alias Barbara. Je suis Spécialiste en Communication de masse, Éducatrice, (Maitre en formation à distance), licenciée en Gouvernance et Collectivités Territoriales. Je suis également auteure, compositrice, interprète et comédienne.  En tant que chanteuse, j’ai enregistré mon premier album en 1987. J’ai dominé les palmarès haïtiens à l’époque, notamment avec « Nou se yon ras moun, yon klas moun » écrit par Serge Madhère (Sègo). En Août 1987, devenue plus activiste que chanteuse, je délaisse la chanson au profit de la défense des situations injustes dans mon pays Haïti. Mon deuxième album (Zo Pèlen) fut enregistré en 1988, suivi en 1990-91, par l’album « Lanmou Pouri ». J’interprète en créole des chansons de Ginette Reno etc. J’ai lancé en juin 2005, « Ala peyi soufri » dans le cadre d’un spectacle Kreolo-O-Kébec au Cabaret du Plateau. La chanson titre est devenue le chant de ralliement pendant le mouvement de solidarité avec les Gonaïves même si le CD n’etait pas assez distribué. J’ai produit deux autres albums de militance politique à travers lesquels j’ai fait la promotion et la défense des Droits des femmes et des Enfants. J’utilise l’art et la chanson comme vecteur de messages de connaissance de soi qui me fait végéter dans une méconnaissance de mes capacités réelles à me prendre en charge et à prendre en charges mes progénitures et mes protégés (es). J’idéalise la cause des femmes et des filles haïtiennes dans la production d’événements artistiques et culturels à travers le monde. 

3. Rachel : Comment a été lancée votre carrière musicale ? Et pourquoi avez-vous choisi de vous exposer en chantant de la musique engagée ?

Barbara : Issue d’une famille chrétienne, très tôt dans ma vie, j’ai pu apprendre des leçons qui vont me préparer pour cette lutte que j’ai embrassée pour le bien-être de mes concitoyennes et mes concitoyens. J’ai vécu ma plus tendre enfance à la campagne qui m’a surtout inspirée artistiquement (poésie, folklore, mélodie). La dure réalité des femmes de campagne qui travaillent toute la journée aux côtés de leur mari, pour ensuite rentrer à la maison et devenir l’esclave d’une famille parfois nombreuse (cuisiner, nettoyer, lessiver etc) avait fouetté ma conscience. C’est pour vous dire que dès ma puberté, je me suis juré que les choses doivent changer dans mon pays et je dois y participer. J’ai commencé une carrière musicale avec mes parents à l’église surtout et dans les années 80 (84-86), j’ai rencontré des artistes contemporains engagés dont Manno Charlemagne, Moumouss, Sò Ann, Anayika et autres qui m’ont largement influencée. J’ai pu reconnaître mes capacités à pouvoir faire des revendications à travers mes performances artistiques. 

4. Rachel: Considérez-vous réussie avec la musique, la musique engagée ?

Barbara : Cela dépend de ce qu’on entend par réussir. Je suis surtout satisfaite par mes performances artistiques en général parce que j’ai le don d’utiliser mes capacités en art pour me faire entendre, me faire comprendre. Les artistes engagés (sauf par hasard) ne sont pas des vedettes qui font des millions etc.  Mes textes engagés et ma chanson m’aident à survivre en dépit de tout, d’être résistante d’avoir de la conviction et de rester MOUN.

5. Maintenant, qu’est-ce qui vous a poussé vers le féminisme ?

Barbara : Selon moi-même, il faut agir sur les droits de la femme pour pouvoir réaliser les droits des autres entités de la communauté mondiale, notamment de la communauté haïtienne. La situation de chaque famille dépend en grande partie de la situation de la femme. Si les femmes jouissent pleinement de leurs droits, les enfants et les hommes seront épanouis de leur côté, c’est-à-dire ils connaitront le bien-être. Agir sur les femmes, c’est travailler à construire la paix dans les communautés, dans le monde. Et ce concept « Paix » charrie tout ce qu’il charrie (droits économique, sociaux, culturels, politiques, civils). D’où ma motivation à promouvoir les droits humains particulièrement les droits humains des femmes et des filles. 

 6. Rachel : Est-ce que vous pouvez tracer pour nous les débuts du mouvement féministe en Haïti ? 

Barbara :  Bon! Il y a eu des antécédents avant 1791, mais on commence avec Olympe de Gouge qui a élaboré en 1791 la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en réponse à Robespierre et consorts qui ont élaboré la déclaration des  droits de l’homme et du citoyen pour avoir omis de  prendre en compte implicitement et explicitement la promesse du droit de vote des femmes. Aussi la mouvance internationale a vu les haïtiennes en 1934 ouvertement, à travers l’avocate Madeleine Sylvain-Bouchereau qui a crée la Ligue féminine d’action sociale (LFAS) le premier mouvement féministe d’Haïti. Ses revendications tournent autour de l’accès à l’éducation pour les filles, l’égalité salariale et le droit de vote. La ligue crée aussi son propre journal afin de diffuser ses idées. Mais l’aventure tourne court. L’organisation est dissoute par le gouvernement haïtien quelques semaines après sa création.

En 1941, elle reprend du service. Trois ans plus tard, les femmes obtiennent le droit de se présenter aux élections sans avoir pour autant le droit de vote. En clair, une femme peut théoriquement être élue mais avec des voix masculines.  En 1950, elles obtiennent enfin le droit de vote. Mais attention ! Pas pour les élections présidentielles. Elles vont attendre l’année 1957 pour être autorisées à choisir leur président. Sous le régime de Duvalier, certaines militantes féministes connaissent la prison et l’exil.

Le 3 avril 1986 a lieu une grande manifestation féminine qui a réuni 30 000 femmes qui souhaite que les femmes participent au processus de démocratisation. En souvenir de cette journée, le 3 avril devient en 1996 la Journée nationale du mouvement des femmes haïtiennes. En 1986 est fondée l’organisation féministe Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA).

En 1990, Ertha Pascal TROUILLOT devient la première femme Présidente d’Haïti. Même si sa présidence est provisoire et qu’elle n’est pas issue des urnes, le symbole est fort.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui le féminisme haïtien s’inscrit dans un mouvement mondial d’émancipation des femmes, la lutte pour l’égalité continue en Haïti comme ailleurs.

7.Rachel : Il existe de sérieux problèmes de perception avec le mouvement féministe en Haïti. Beaucoup d’hommes et femmes critiquent ce mouvement comme si elle serait inutile.  En tant que féministe aguerrie, quelles sont les véritables causes de ces critiques chroniques ? 

Barbara : Ce sont des acquis mal véhiculés, qui ne sont pas exprimés selon la définition du concept “féministe” étant donné  que  les féministes elles-mêmes/ eux-mêmes ont élaboré le concept genre pour traduire leurs apports. Le contenu est bafoué tant par la majorité des hommes que par la majorité des femmes. Mais on sait aussi qu’en Haïti la critique est aisée. Par ailleurs, c’est plus écœurant, répugnant de voir que certaines femmes du mouvement ne se mettent pas à l’œuvre pour porter le message de la politique genre correctement comme outil sociologique, outil d’analyse, outil de transformation sociale ou de développement durable. Elles préfèrent un jargon qui discrédite les lignes directrices, par exemple, elles parlent de “secteur des femmes”, or les femmes ne sont pas un domaine d’action, elles sont une des deux composantes sociales. Nous savons qu’il y a celles qui permettent à des hommes influents d’utiliser leur présence pour prendre en otage la lutte féministe incompris. Il y aussi celles qui détournent le mouvement féministe, qui préfèrent rester au stade de revendication au lieu de politique publique et internationale qu’est le genre et l’égalité des sexes.  Enfin,  certains hommes et certaines femmes utilisent la ligne politique genre pour avoir accès au financement de projets à leur fin personnelle sans vraiment prendre en compte cette directive transformatrice de la communauté internationale et nationale. 

 8. Rachel : A ma connaissance, il y eu beaucoup de sacrifices pour l’aboutissement du mouvement féministe en Haïti. En quelque sorte c’est un mouvement noble.  Mais comme vous venez de le dire, il existe certaines pseudo-féministes au sein même du mouvement qui détournent sa vraie essence. Qu’est-ce que vous les anciennes féministes, faites pour conserver vos acquis et purifier le mouvement ?

Barbara : Rentrer dans les sphères politico-socio-culturels pour  encourager l’amendement des politiques publiques, programmes, projets axés sur les apports féministes pouvant traduire la politique “Genre” afin de réaliser le droit à l’égalité femmes hommes. Nous ne sommes plus au stade  de revendications, nous sommes à un niveau décisif pour que l’égalité soit de droit réellement gouvernée par le premier Ministre sous tutelle du Président de la République tel que prescrit par la politique égalité femmes hommes de la République d’Haïti. Ceci, c’est pour vous dire que  seule la prise en compte du genre peut permettre de faire une analyse genre intersectionnelle pour une réponse adaptée aux préoccupations des femmes et des hommes vivant dans les zones rurales, urbaines, diaspora lors de l’identification et l’élaboration des besoins pratiques

9. Rachel : Quelles sont jusqu’à présent les réels succès du mouvement féministe haïtien ?

Barbara : Les féministes ont imposé une nouvelle vision aux décideurs/décideuses du monde entier.

Les apports féministes sont élaborés sur le plan international sous forme de : 

a) Différentes conventions: Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), Convention sur la participation politique des femmes, Convention sur la prévention, la sanction et l’élimination de toutes formes de violences faites aux femmes, ect.,  

b) La résolution (1325)

c) Les différentes conférences Caire, Beijing 25

d) La déclaration et programme d’action de Beijing, les ODD (Objectif de développement durable) ect. 

e) etc.  

Les dispositifs nationaux qui défendent et promeuvent les droits des femmes et des filles. 

a) Décret d’octobre 1982 qui stipule que la femme n’est plus mineure, elle est majeure 

b) Modification du du code civil

c) Décret de juillet 2005 qui élève l’agressions sexuelles au rang de crime (modification du code pénale)

d) La politique égalité Femmes Hommes ;

e) Le plan d’action 2017–2027  contre la violence envers les femmes et les filles

10. Rachel : Lorsqu’on dit « Droits des femmes », on évoque un ensemble de droits pour les femmes, par exemple, droit à l’éducation, droit de vote, droit à la santé, droit à l’équité salariale, droit sexuel, droit à la sécurité sociale etc. De nos jours, de nombreuses femmes haïtiennes souffrent d’endométriose, de fibromes, de kystes au niveau du sein ou dans les ovaires, de ménopause précoce, de cancer du col de l’utérus, de cancer du sein, de l’ostéoporose, de la dépression, de la dépression post-partum (après les accouchements), du diabète, du glaucome, de l’Alzheimer.  Ces maladies sont spécifiques aux femmes, ou ont une prévalence chez les femmes. Vous les féministes haïtiennes, sentez-vous réellement concernées par le droit à la santé des femmes ? Si oui, quelles sont les initiatives entreprises pour la vulgarisation, la prévention et l’accès au soin pour les haïtiennes souffrant d’une de ces maladies courantes ?

Barbara: Oui nous en sommes très concernées. Les Organisations de la société civile (OSC) font des pressions sur les décideurs/décideuses ou bien offrent les services à leur communauté à la place de l’Etat. La santé de la femme prend toute une politique publique et est énoncée comme un des douze domaines de Beijing sous l’acronyme « femmes et santé » repris à ODD 3. Un de ces domaines permet à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge incluant la santé maternelle, et inscrit également en tant qu’une des orientations de la politique égalité femmes-hommes de la République d’Haïti. En quelque sorte ce sont tous des prescrits féministes. Ils ne restent qu’à l’Etat de les opérationnaliser, de s’aligner autour de ses engagements, de les transformer en de vraies activités adaptées aux besoins des communautés.   

11. Rachel : Barbara ! Nous nous approchons vers la fin de notre « ti bat bouch » Mais de nombreuses questions concernant les femmes me titillent tout le temps. Pourquoi les femmes sont la plupart du temps défavorables aux femmes en Haïti ? C’est-à-dire, on trouve toujours des femmes qui s’opposent à l’évolution et/ou aux initiatives d’autres femmes. Prenons le cas des servantes « Bòn », pourquoi elles ne sont pas assujetties au droit du travail aussi ? En quelque sorte, pourquoi leurs patronnes ne leur accordent pas les bénéfices que dispose le code du travail haïtien, comme le boni, les congés, les prestations légales en cas de révocation ? Cette constatation est aussi valable pour les Madan Sara, pourquoi ne sont-elles pas bénéficiaires d’assurance vieillesse ? 

Barbara : Tout ce qui à rapport aux femmes, les Leaders politiques les négligent plus facilement. Ce qui porte certaines femmes et/ou certains hommes à causer des préjudices quant à la jouissance des droits du travail de la majorité des personnes en situation défavorable ou à un poste moins élevé.  Les commissaires du Gouvernement, représentant tantôt l’état, tantôt la société devraient faire leur travail. Et ensuite, nul ne peut jouir de ses droits s’il les ignore, il reste beaucoup à faire, la vulgarisation, la promotion et la défense des droits n’est pas pour aujourd’hui, surtout lorsque la communauté croupit dans la misère sévère.     

12. Rachel : Barbara! si un jour vous deviendrez Ministre à la condition féminine en Haïti. Quels changements apporteriez-vous au sein de ce Ministère ? Quels soulagements les femmes en Haïti bénéficieraient de votre Leadership?

Barbara : Pas vraiment besoin d’être Ministre pour transformer certaines choses et mettre en œuvre les engagements de la République d’Haïti sur le plan national.  Sauf que le Ministère jouerait son rôle normatif, de régulateur,  et  celui de gardien du partage de richesse et de pouvoir entre les femmes et les hommes. Je veillerais à ce que chaque autre Ministère distribue avec équité (homme-femme) les services et les biens dont l’Etat dispose selon la mission de chacun.

13. Rachel : Qu’allez-vous faire au sein du Conseil Électoral Provisoire ? Pourquoi certaines femmes ont contesté votre élection ?

Barbara : Tout ce qui brille attire l’attention et l’opposition aussi.  Notre éclat sera remarqué davantage puisque nous allons travailler avec les autres conseillers/conseillères en faveur d’une meilleure prise en compte de la  manière de motiver, de sensibiliser chaque secteur constituant la communauté haïtienne au CEP,  afin de réaliser vraiment une participation équitable des femmes et des hommes par secteur comme électeur.électrices ou comme candidates/candidates.

14. Rachel :  Avez-vous un dernier message à donner au secteur féministe en Haïti? Quel message avez-vous aux femmes haïtiennes ?

Barbara : Le mouvement féministe c’est une lumière qui éclaire  les politiques internationales  et nationales afin de déployer des efforts de ne laisser personne de côté. Le mouvement féministe est une force déchaînée contre la  discrimination, la  marginalisation, l’exclusion, le racisme en faveur de la création de bien-être pour une partage équitable de richesse et de pouvoir entre les pays du nord et du sud, entre les femmes et les hommes vivant dans les zones rurale et urbaine,  la diaspora. 

15. Rachel : Barbara, toute l’équipe de HAPPINESS COMMUNICATION vous remercie pour cette intéressante causerie.  Nous vous souhaitons une bonne continuité.  Que Dieu vous bénisse. 

Barbara :  C’est à moi de vous remercier, nous ne sommes qu’à notre première. Nous aurons besoin de votre aide pour publier les avancés réalisés en matière de la politique genre axée sur les lignes directrices qui gouvernent la participation politique des femmes à travers le CEP et tout autre lieu désigné.

Rachel: Pas de souci Barbara! Nous serons toujours disponibles pour vous. 

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  • Une conversation imbue d information.
    Je vous invite au Salon du livre Afro-Canadien a Ottawa de 24 au 27 Octobre pour rencontrer des ecrivain-es .

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