LE CONCEPT GENRE EN HAITI

En classe primaire, nos professeurs de grammaire française nous présentaient le genre comme celui qui définissait la nature masculine ou féminine des noms. Pris en compte et obligatoirement respecté dans tous nos écrits et notre langage courant, ce mot, apparemment banal et pourtant lourd de sens, se rencontre dans d’autres contextes où son acception est différente et bien plus large que les enseignements reçus. 

Que signifie réellement le terme “genre”  chez nous ?

A part son emploi grammatical dans la langue française,  le terme “genre” renvoie donc à l’interprétation populaire quand il faut considérer les rôles psychosociaux prêtés aux hommes et aux femmes dans notre société. Chez nous, la mentalité a été façonnée en fonction de ce “genre” dont l’influence s’exerce au niveau même de l’organisation sociétale. Les hommes sont considérés comme forts, braves, leaders naturels, le sexe fort dit-on. Cette conception fait classer les femmes parmi les soumises, les dépendantes, les super vulnérables, le sexe faible   dit-on d’elles. Il en résulte le phénomène de masculinisation et de féminisation des activités et des métiers. Par exemple, on ne voit que des hommes chauffeurs de taxi, mécaniciens, maçons, plombiers, ébénistes, électriciens etc. D’un autre côté, les femmes seulement  sont esthéticiennes, Madan Sara, secrétaires, infirmières. Ce sont des croyances profondes, logées dans l’inconscient collectif et capables de générer des comportements discriminatoires et même  hostiles envers qui oserait prendre le contrepied de ces convictions ancrées dans la mentalité haïtienne.  Peuvent être cités des cas comme celui de Jimmy (nom d’emprunt), un homme qui a tenté d’exercer le métier d’esthéticien et qui, malheureusement, a dû, pour éviter les dénigrements et rabaissements de toutes sortes, abandonner sa passion pour la manucure et la pédicure. En Haïti, tout homme professant le métier d’esthéticien est, ipso facto, qualifié d’homosexuel.

On peut aussi citer le cas de Magda Joseph, fondatrice de ” FEMMES D’ÉNERGIE” au Cap Haïtien. Elle a eu pour but  de lutter contre les discriminations dont sont  victimes les Femmes en exercice de métiers affectés soi-disant aux Hommes par la Société. Magda est électromécanicienne et elle avoue son calvaire depuis le centre d’apprentissage jusqu’aux chantiers de pratique professionnelle. D’ailleurs, on en arrive à douter de sa compétence en hésitant à l’embaucher à cause de son sexe. On la croit incapable d’assurer le dépannage des moteurs, l’installation de panneaux solaires, de batteries dans les Entreprises ou maisons privées. Or, à entendre les professeurs de Magda, son application et son sens aiguisé de perfection feraient d’elle la bien meilleure électromécanicienne de sa promotion.

Ces croyances bornées peuvent s’identifier à des stéréotypes ou clichés qui se définissent comme une certitude non fondée et défavorable gardée au sujet d’un ou d’un groupe d’individus. Par exemple, dans le Nord d’Haïti, tout un ensemble de gens croient fermement que les femmes de la Grande-Rivière sont tellement passionnées qu’elles se déculottent à partir de 6h du soir. En fait, l’opinion s’est généralisée et l’on pense, à tort, que toutes les Rivanordaises sont des “salopes”. Les stéréotypes font toujours mal puisqu’ils discriminent gratuitement et freinent l’élan de ceux qui en sont victimes. C’est le cas de Jimmy et Magda frustrés et contrariés dans leur évolution professionnelle. Dans les pays où le problème  de genre est résolu, les citoyens sont libérés de leurs oeillères et ont alors une vision plus ouverte permettant de répartir plus équitablement les attributions des hommes et des femmes dans leur milieu d’évolution. Par ailleurs, l’égalité des chances accordées aux deux sexes aboutit à l’épanouissement de la société entière. Au résumé, les discriminations basées sur le “genre” sont de véritables pierres d’achoppement retardatrices du développement  personnel et des avancées socio-économiques d’un peuple.

LES CONSÉQUENCES PSYCHOSOCIALES DES STÉRÉOTYPES

A) sur le plan éducatif des filles.

Dès la naissance, l’enfant s’intègre naturellement dans le système de discrimination basée sur le genre. La famille, les milieux de socialisation comme l’école et l’église constituent les lieux inévitables de transmission de la mentalité tordue chez nous où le système patriarcal était à son pic pendant une longue période du 20ème siècle. A cette époque, la mentalité retardée des parents était à plaindre en ce qui a trait aux différences d’attitude dans l’éducation et la formation de leurs enfants. Seuls les garçons fréquentaient l’école tandis que les filles restaient à la maison ou  accompagnaient les parents au jardin. Les filles étaient considérées comme inférieures et ne jouissaient pas du même  traitement que les garçons. Cette tendance explique la quantité énorme de femmes haïtiennes âgées analphabètes. Les parents faisaient reposer l’avenir sur les garçons. Point n’est besoin d’évoquer les frustrations engendrées par l’analphabétisme chez une femme privée, toute sa vie, des facultés de lire et d’écrire. C’était compromettre l’indépendance émotionnelle et économique de la Femme en limitant sa formation intellectuelle.

De plus, le décrochage scolaire forcé des adolescentes tombées enceintes est aussi une autre forme de discrimination éducative envers les femmes. Quand une étudiante d’un lycée ou d’une institution mixte tombe enceinte pour un garçon de l’école,  celle-là est expulsée de l’établissement tandis que le garçon qui l’a mis enceinte continue sereinement ses études. Les statistiques sur le nombre de filles frappées d’expulsion pour grossesse n’existent malheureusement pas encore. Mais il est généralement constaté que la fille abandonne toujours l’école dans les cas de grossesse précoce. Cependant, à force de luttes incessantes et ardues, les femmes haïtiennes ont pu, aujourd’hui, accéder librement à des études supérieures. Mais ce fut un combat de longue haleine même si, graduellement, les filles allaient à l’école sans pourtant avoir accès aux études universitaires réservées prioritairement aux hommes. Les femmes d’aujourd’hui doivent ce progrès au mouvement féministe commencé en Haïti, en 1934, avec la ligue féminine d’action sociale(LFAS) qui a pu, grâce à la persévérance, mettre fin aux restrictions discriminatoires imposées par la Société. Désormais, les femmes étudient la Médecine, l’Agronomie, le Génie, les Sciences juridiques … comme les hommes. Ainsi, la première  femme haïtienne médecin fut Yvonne SYLVAIN.

B) sur le plan professionnel

La lutte des femmes n’est pas près de toucher à sa fin. Malgré les avancées et les libertés conquises pour des études au plus haut niveau, le combat féminin doit continuer pour l’obtention de poste sans négociation ou condition d’embauche. En dépit de leur compétence, les Femmes haïtiennes sont souvent exposées aux avances sexuelles de certains, exploitant malsainement leur position de recruteurs. Ces derniers n’acceptent pas encore l’idée qu’une femme gravisse, sans l’aide d’un homme, les échelons pour atteindre des sommets. Ce sont des comportements reprochables et complètement dérangeants pour celles qui se sont battues pour s’élever à un rang supérieur.

C) vulnérabilité des hommes.

Les stéréotypes plaçant la femme en infériorité par rapport à l’homme, poussent celui-ci à développer des prétentions excessives quant à ses potentialités masculines. Se sachant fort, il se croit incontournable et non limité. Le niveau de machisme dans la société haïtienne est si élevé qu’il passe souvent inaperçu jusqu’à l’évidence de la vulnérabilité de l’homme. La société octroie aux hommes certaines permissions qui mettent sérieusement en jeu leur sécurité. Elle les laisserait croire qu’ils sont durs et libres, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas besoin de faire attention à certains dangers. Ils peuvent circuler à n’importe quelle heure et s’offrir toutes les femmes du monde. Ils doivent être prêts quand une bagarre se présente. Ils laissent le nettoyage et la cuisine aux soins de la femme. Ils peuvent résister à toute souffrance ou douleur. Chez nous, l’expression “Se gason w ye” est éloquente, persuasive et suffisante quand il s’agit de calmer les situations stressantes d’un homme. Par contre, la réalité est tout autre chose parce que la résistance et la bravoure ne sont pas liées au sexe. Ces idées stéréotypées font de l’homme un être imprudent exposé à des ennuis de tous genres. Les statistiques le confirment car plus de décès masculins sont partout enregistrés. En d’autres termes, la société ne protège nullement les hommes qui, d’ailleurs, pensent n’en avoir pas besoin. Les psychologues affirment que les femmes sont plus disposées à demander de l’aide que les hommes, toujours gênés de dévoiler leur faiblesse ou incapacité.

VERS UNE AUTRE MENTALITÉ HOMME-FEMME

La mentalité haïtienne est à refaire complètement. Ce sera un travail de longue haleine qui s’étendra sur plusieurs générations. Du point de vue social, il est important d’accorder une place primordiale à l’éducation des masses afin d’enlever de la voie du progrès les obstacles dus à l’ignorance par analphabétisme. La plupart des notions à comprendre pour changer de comportement nécessitent un certain niveau intellectuel qui devrait en faciliter l’assimilation. Ce serait peine perdue que de faire admettre à des mères analphabètes l’importance de la formation académique de leur progéniture, pour arriver à un vrai changement en Haïti. Par contre, à compter d’aujourd’hui, si l’on entreprend des démarches sérieuses pour l’éducation des masses, on peut espérer une nette amélioration de la mentalité sur une période d’environ deux décennies. Un meilleur contrôle des ouvrages scolaires où l’accent est mis sur la domination masculine pourrait aussi être nécessaire pour conjurer le mal dû à notre mentalité rétrograde. L’égalité des sexes doit être, à l’exemple des Pays développés, prônée partout, particulièrement dans les lieux de rassemblement. A cet effet, les religions auraient un grand rôle à jouer dans le programme de développement. Certaines églises protestantes suivent encore des doctrines bibliques anti- femme. Il serait judicieux d’opérer des réformes profondes en collaboration avec le Ministère des cultes pour faire taire les discours anti-femme et crier à l’unisson ” non à l’inégalité des sexes”. Il est grand temps que le “genre” cesse de nous retenir dans le sous-développement.

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  • Merci Pour le support que vous apportez au Secteur.

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